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littérature française - Page 63

  • Au-dessus de Vienne

    Flem Freud Hachette.jpg« Lorsque ses enfants* l’accompagnent, Freud égaye leur marche en racontant des histoires. Ils affectionnent particulièrement celle de la grand-mère du diable qui, donnant une réception, avait préparé sur un plateau son plus beau service à café, qu’elle laissa tomber juste au-dessus de Vienne, en survolant un quartier qui se nommait Franzjosefkai et qui depuis compte sur ses toits un nombre très important de cheminées et de motifs divers. »

    Lydia Flem, La vie quotidienne de Freud et de ses patients

    *Source : Martin Freud, Freud, mon père, 1975
    Illustration : Couverture originale, 1986

  • Freud au quotidien

    De Lydia Flem, écrivaine et psychanalyste, paraît en 1986 (à 33 ans) La vie quotidienne de Freud et de ses patients. Freud (1856-1939) y est montré tour à tour comme un « docteur invraisemblable », un professeur dont le cabinet d’analyse attire bien des patients, un Juif viennois, un amoureux, un amateur de champignons et de fraises des bois... L’essai sur ce « maître du quotidien » – il a montré l’attention que méritent les faits de tous les jours, la vie privée – s’ouvre sur un plan de sa maison et un plan de Vienne qui permettent de situer le fameux numéro 19 de la Berggasse.

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    Les débuts de la psychanalyse se sont heurtés au scepticisme de la Société psychiatrique de Vienne. Freud invente « la réalité psychique » où lapsus, rêves, actes manqués, jeux de mots, mobiles cachés jouent dans les coulisses de la conscience. Lecteur des grands classiques de la littérature occidentale, il croit intuitivement au « pouvoir thérapeutique » des mots et renoncera peu à peu à « l’arsenal médical classique de son temps ».

    Lydia Flem raconte comment le Dr Freud, neurologue à la barbe bien taillée, aux vêtements « stricts et bien coupés », l’allure bourgeoise, le regard « vif, pénétrant et grave », se rend le premier mai 1889 dans une pension chic chez une grande dame, « Emmy von N. », qui lui demande de la laisser raconter ce qu’elle a à dire : la « scène primitive » de ce qui allait devenir la psychanalyse et initier la « règle de tout dire ».

    Des scènes de rencontre alternent avec l’histoire des différentes périodes de la vie de Freud, les chapitres suivent un ordre chronologique. On fait connaissance avec sa famille, avec ses amis, et surtout avec ses patients – ceux, celles qui font le voyage à Vienne pour s’allonger sur le divan du professeur – et bientôt ses disciples. A la fin de l’essai figurent des repères chronologiques pour situer les patients les plus connus et aussi le rythme de travail de l’analyste (onze patients par jour en 1913, six en 1924, quatre en 1938-1939, les dernières années).

    La vie quotidienne de Freud et de ses patients s’appuie sur une documentation fournie sans pour autant ressembler à un pensum. Ce pourrait être la vie d’un personnage de roman tant il y a de la matière, et des personnages secondaires hauts en couleur. Lydia Flem l’aborde de façon très concrète, propose des portraits, des dialogues, des extraits de correspondance. Le récit décrit des déménagements, des ambiances, des contextes sociaux et politiques, des séances d’analyse, des repas en famille, des vacances… Comme l’écrit Fethi Benslama dans sa préface à la réédition au Seuil en 2018, sa démarche « allie histoire et littérature ».

    Les lecteurs découvrent les statuettes collectionnées par Freud et posées sur son bureau, qui intéressent souvent ses patients ; ses rendez-vous fidèles pour jouer aux cartes avec quelques proches ; ses habitudes (cigares, promenades, cafés viennois). Les complicités et les rivalités. Ses rapports avec le judaïsme. Le goût de lire et le goût d’écrire.

    Dans le chapitre « Vienne entre deux séances », Lydia Flem s’arrête sur « Arthur Schnitzler, son double ». Comme Freud, le Dr Schnitzler a « fait sa médecine », ils ont des amis communs. Freud lit ses œuvres, envie le pouvoir des poètes. Il lui avouera l’avoir évité « par une sorte de crainte de rencontrer [son] double ». Lui-même se dévoilait peu et c’est à un visiteur, le poète Giovanni Papini qui n’est « ni un patient, ni un collègue, ni un disciple, ni un parent », qu’il confie, en 1934, être devenu un scientifique « par nécessité et non par vocation » plutôt qu’un artiste, un destin réalisé de manière indirecte en restant « un homme de lettres sous les apparences d’un médecin. »

  • Premier chagrin

    Sarraute Nathalie-enfance-gallimard-1983-edition-originale-velin-d-arches-grand-papier-broche-non-coupe.jpg« Vous raconterez votre premier chagrin. » ‘Mon premier chagrin’ sera le titre de votre prochain devoir de français. » […]

    – Tu n’as pas commencé par essayer, en scrutant parmi tes souvenirs…
    – De retrouver un de mes chagrins ? Mais non, voyons, à quoi penses-tu ? Un vrai chagrin à moi ? vécu par moi pour de bon… et d’ailleurs, qu’est-ce que je pouvais appeler de ce nom ? Et quel avait été le premier ? Je n’avais aucune envie de me le demander… ce qu’il me fallait, c’était un chagrin qui serait hors de ma propre vie, que je pourrais considérer en m’en tenant à bonne distance… cela me donnerait une sensation que je ne pouvais pas nommer, mais je la ressens maintenant telle que je l’éprouvais… un sentiment… »

    Nathalie Sarraute, Enfance

  • Natacha Sarraute

    Ne pas trouver sur son blog un nom d’écrivain qu’on aime appelle réparation – il était temps de relire Nathalie Sarraute, à la suite de Marque-Pages. Ouvrir Enfance et retrouver dès les premières lignes le ton inimitable de la grande écrivaine qui rend à la vie son texte sous-jacent :
    « – Alors, tu vas vraiment faire ça ? « Evoquer tes souvenirs d’enfance »… Comme ces mots te gênent, tu ne les aimes pas. Mais reconnais que ce sont les seuls mots qui conviennent. Tu veux « évoquer tes souvenirs »… il n’y a pas à tortiller, c’est bien ça.
    – Oui, je n’y peux rien, ça me tente, je ne sais pas pourquoi… »

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    Nathalie Sarraute lisant une traduction allemande d'Enfance
    Source : Lire, Enfance, N Sarraute, Philosophie de l'art - God save Darwin (over-blog.com)

    Natalia ou Natacha Tcherniak (1900-1999) est devenue Nathalie Sarraute par son mariage en France. Enfance (1983), récit autobiographique, se présente sous la forme d’un dialogue avec elle-même, la voix de celle qui écrit ne cessant d’interpeller celle qui se souvient. Parfois, le recours au tiret cesse ; un paragraphe, une page, toute une séquence à la première personne donne libre cours à la mémoire.

    Ce n’est pas sans crainte qu’elle écrit « comment c’était » : « Souviens-toi comme elle [cette crainte] revient chaque fois que quelque chose d’encore informe se propose… Ce qui nous est resté des anciennes tentatives nous paraît toujours avoir l’avantage sur ce qui tremblote quelque part dans les limbes… » Donner forme à ce qui se présente, trouver les mots ou les laisser venir comme ce « Nein, das tust du nicht » (« Non, tu ne feras pas ça »), dit par une jeune femme qui s’occupe d’elle, dans le salon d’un hôtel suisse où elle passe des vacances avec son père à cinq ou six ans.

    Enfance est le récit des mots qui affleurent et ravivent les sentiments, ceux d’une enfant dont les parents ont divorcé – j’ai pensé à la Maisie de James, bien sûr, à maintes reprises. L’influence de sa mère semble prédominer, c’est avec elle que la petite vit le plus souvent au début, ne passant que l’été près de son père. Elles habitent à Paris, dans un petit appartement « à peine meublé et assez sombre » d’où elle aime s’échapper avec la bonne pour « courir, gambader, tourner en rond » dans les jardins du Luxembourg.

    Guère de complicité entre la mère et la fille. Des impératifs, des interdictions, peu de tendresse ou de patience, l’éducation aux bonnes manières. Sarraute s'étonne, quand elle évoque « une longue maison de bois à la façade percée de nombreuses fenêtres surmontées, comme des bordures de dentelle, de petits auvents de bois ciselé », l’image liée au nom d’Ivanovo, la maison où elle est née, que sa mère n’y apparaisse pas : « rien n’est resté de ce qui a précédé mon départ d’Ivanovo, à l’âge de deux ans, rien de ce départ lui-même, rien de mon père, ni de ma mère, ni de Kolia avec qui, je l’ai su depuis, nous sommes, elle et moi, parties à Genève d’abord, puis à Paris. » Il n’y a que son ours en peluche, « Michka », qui soit toujours avec elle.

    Dans l’appartement de son père à Moscou, «  une jolie jeune femme blonde qui aime rire et jouer » sera celle qu’elle ne pourra appeler « maman-Vera » comme elle le proposera plus tard, sa mère l’interdisant, alors même qu’elle vit avec son père et Vera exclusivement. Lui est attentionné pour sa petite fille, sa « Tachok » ou « Tachotchek  », accepte de rester près d’elle avant qu’elle s’endorme, veut bien entrer dans son jeu quand ils se promènent ensemble.

    Vera accouche d’une petite Lili  (Hélène) et sa demi-sœur aînée perçoit très vite qu’à celle-ci, tout sera dû. En général, Vera ne parle qu’en français avec Natacha, mais c’est en russe qu’elle lui lâche un jour « Tiebia podbrossili » (On t’a abandonnée). La fillette sentait sa rancune envers ceux qui l’avaient obligée à se charger d’elle : « en même temps que ces mots me blessaient, leur brutalité même m’apportait un apaisement… On ne veut pas de moi là-bas, on me rejette, ce n’est donc pas ma faute (…) ».

    Son admiration pour son père est redoublée quand il reçoit des amis : « il n’a plus son air fermé,  il se détend, il s’anime, il parle beaucoup, il discute, il évoque des souvenirs, il raconte des anecdotes, il s’amuse et il aime amuser. » Tous le trouvent spirituel, intelligent, même sa mère en avait fait la remarque un jour, à Pétersbourg.

    Des noms, des images, des moments, des rencontres, voilà ce que raconte Enfance, par fragments suspendus dans le temps du souvenir rendu présent. Comment Sarraute s’y prend pour faire émerger l’émotion vraie, ressentie, de l’indécis où elle est enfouie, est remarquable. Sa curiosité pour les mots et pour les livres s’exprime très tôt, le goût d’écrire aussi. Le récit se termine avec son entrée au lycée Fénelon, la première fois où elle prend le tramway toute seule : c’est là, lui semble-t-il,  à onze ans, que s’arrête son enfance.

  • Souvenir

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    « Je me souviens qu’un corps, c’est une manière de se mouvoir, d’exister dans l’espace. Nos habits nous habillent, mais c’est nous qui les habitons. »

    Lydia Flem, Je me souviens de l’imperméable rouge que je portais l’été de mes vingt ans

     

    © Eliane de Meuse, Jeune femme en robe bleue